Amanda sans famille
Il y a peu je vous parlais d’Amanda, une petite soeur à moi d’origine sierra-léonaise mais camerounaise de corps, d’âme et d’esprit. Quelques jours après sa confidence sur les raisons pour lesquelles le « Cameroun c’est chez elle« , elle a tenu à me parler. Elle était au bord des larmes. J’en ai encore les frissons tellement la réalité qu’elle m’a décrite était au antipode de l’image que je me faisais. Oui, je suis comme ça par pudeur je n’aime pas « fouiller les poubelles des gens »; la mienne déborde donc vraiment moins j’en sais, mieux je me porte.
Mais voilà, Amanda, est si attachante que je me suis dit que ça devait être important, elle n’est pas du genre à se confier; NON!
Après notre première VRAIE discussion, je réalise que son attitude « je m’en foutiste » cache une réelle souffrance. Sa joie de vivre est un exutoire comme pour faire un pied de nez à son histoire (pour le très peu que je savais).
Un coup de fil plus tard, nous voici à un after work entre filles. Vous vous imaginez que je me suis demandé ce qu’on faisait là?
– « Sérieux Amanda, tu veux discuter ou juste t’éclater »?
– Non , Armelle, si on était go chez toi ou chez moi, j’aurais coulé un torrent de larmes!
– Miss, je dois m’inquiéter?
– Laisse, comme ça!
Après quelques verres de Juicy Pussy (cocktail à base de bailey’s +schnapps à la pêche +jus d’ananas ) Amanda est si volubile que je n’arrive pas à la suivre…
« Un orphelin ou un enfant adopté même s’il a perdu ses géniteurs sait au moins d’où il vient ». J’ai quitté mon pays quand j’avais 6 ans. Mes parents ont tout laissé derrière eux. Je n’ai pas d’acte de naissance, rien qui témoigne de qui je suis. C’est ce qui arrive quand vous sortez de chez vous aux aurores, vêtus de pyjamas, essayant de rester en vie. Et on arrive au Cameroun. 20 ans plus tard, mon pays d’acceuil, mon pays que je chéris tant, me fait savoir que mes papiers de réfugiés ont expiré et ne sont plus renouvelables. Le pire c’est que notre président a cessé la clause de réfugiés, le Cameroun qui ne nous accorde pas la citoyenneté et me voici 26 ans plus tard, rejetée par MON pays tel un mauvais greffon. »
Elle se tait et c’est pour moi l’occasion de boire une gorgée et de partir couler des larmes dans les W.C.
Quand je reviens, j’espère qu’elle m’en dise pas plus. Derrière les mots, je vois la souffrance et la plaie béante… Je devine ce par quoi elle est passée et je me demande si vraiment j’ai envie d’en savoir plus…. Juicy pussy est en train de faire son travail hum, la voilà qui danse et se secoue façon Lady Ponce…. Je m’assois et fais mine de devoir m’en aller! Comme si elle lisait ma gène, elle me fait me rasseoir et tente de me réconforter. « C’est le monde à l’envers me suis-je dis! »
« Pas plus tard que ce matin, je suis allée au Western Union pour prendre les do* et comme à la fin de chaque mois, mon passeport me rappelle que je suis une RÉFUGIÉE. Oui, tu ne le sais surement pas, le passeport d’un réfugié est un « titre de voyage » . C’est comme un gros carnet de vaccination réservé à une catégorie de personnes! Je me suis déjà vue refuser des sous à cause de cela: à tel point que maintenant je suis tenue de marcher avec un document qui explique c’est qu’est un passeport de réfugié. Quand je voyage aussi, le stigmate est là comme une lettre écarlate marquée à chaud sur mon front. Je ne compte plus le nombre de fois où à l’aéroport les flics m’ont fait sortir de la file me demandant des explications et interpellant leurs supérieurs. Réfugié c’est aussi être un phénomène de foire: on fascine et on est marginalisé à la fois…..
Bref même quand tu as fait la paix avec ta condition de réfugié, elle réussit tout de même à faire naître chez toi un sentiment d’insécurité.
26 ans et je me demande ce que je suis, aujourd’hui je me demande même ce que je fuis ou après quoi je cours. Aucune patrie n’est vraiment la mienne. Qui suis -je ? Sans transition, je suis passée de Citoyenne à réfugiée et aujourd’hui je suis APATRIDE. Personne ne veut de moi en Afrique.
Toute une vie passée à se justifier, les gens ne se rendent pas compte qu’en parler est dur… Tout à l’heure, je suis allée en fac pour me réinscrire; et vu que je ne suis ni camerounaise, ni sierra léonaise, ni quoique ce soit, je ne pourrais pas y prétendre cette année… VDM*
Pour ne pas remuer le couteau, on a discuté de choses et d’autres de la pluie, du beau temps, des garçons… Amanda, avec la facilité que je lui connais, a retrouvé sa bonne humeur; et je n’ose pas imaginer ce qu’elle endure au quotidien. Stigmatisée et marginalisée par une société qui en apparence t’ouvre les bras, mais dans laquelle tout est fait pour te rappeler que tu es un mouton noir. Je comprends pourquoi toutes ces années elle s’est attachée à sa famille d’accueil et à sa famille nucléaire, ce sont les seules choses VRAIES dans sa vie.
Quelques jours plus tard, Amanda m’appelle pour me dire qu’ils partent (elle et sa famille restée au Cameroun) au Canada, je devine que c’est une autre page de sa vie qui s’ouvre. J’ai pleuré, mais de joie espérant que le meilleur lui soit accordé, j’en suis sûre.
02 mois se sont écoulés et je ne sais pas comment ça se passe pour elle mais c’est surement le début d’une nouvelle histoire.
les do= l’argent
VDM= Vie De Merde
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